• Demander des institutions saines

    Demander des institutions sainesA quelques semaines des élections législatives au Congo, de nombreuses voix ne cessent de s'élever contre la volonté des autorités de Brazzaville de réaliser un hold-up électoral

     
     

    Le pouvoir congolais souhaite organiser des élections sous le couvert d'une commission dont il a le contrôle, tandis que les responsables de l'opposition exigent la mise en place d'une commission électorale indépendante.

    L'un et l'autre savent que le prix de la victoire dépend du choix qui sera fait. L'opposition a des chances de l'emporter si la commission électorale est indépendante tandis que le pouvoir actuel gagnera si la commission est à sa botte.

    Dans les conditions actuelles du vote basé sur l'ethnie, La faction de Sassou c'est à dire la faction 'Nord' ou 'Mbochi' ne peut gagner une élection libre et transparente. Pour obtenir une majorité au parlement, il lui faut rechercher des alliances ethniques. C'est ce qu'il vient de réaliser avec le ralliement de Bernard Kolélas victime d'une guerre d'usure qui la fait tomber comme un fruit mûr dans l'escarcelle de Mpila. Sassou Nguesso cherche également à s'associer à Thystère Tchicaya leader du Kouilou qui jouirait d'une certaine influence dans le Niboland, fief de son ami Pascal Lissouba.

    Il n'est pas dans l'intérêt de Sassou Nguesso d'accéder à la requête de ses opposants sur la mise en place d'une commission électorale indépendante car cette revendication légitime ne peut s'appliquer que dans des sociétés ethniquement homogènes ou être imposé par la communauté internationale. Il n y a rationnellement aucune raison que Sassou Nguesso crée l'instrument de la défaite de sa faction ou de son ethnie.

    C'est cette vision 'ethniciste' ou 'ethniste' du pouvoir qui rend problématique la démocratie au Congo. La probabilité qu'un originaire du Nord du Congo gagne une élection présidentielle au suffrage universel dans des conditions transparentes est quasiment nulle. Cela dissuade les tenants du pouvoir actuel de faire des concessions sur la commission électorale indépendante ; La population congolaise ne semblant pas assez éduquée pour faire un choix en fonction des programmes ou des projets de sociétés.

    La diversité ethnique est un frein à l'organisation d'élections libres et transparentes car elle donne la victoire non pas au meilleur programme ou projet mais à celui qui fait partie d'une ethnie ou d'un groupe d'ethnies majoritaire. Elle présage des guerres civiles et génocides surtout quand des leaders populistes tentent de gagner une assise politique en jouant sur le morcellement ethnique.

    D'après une étude réalisée par William Easterly ancien économiste à la banque mondiale, les pays caractérisés par la plus grande hétérogénéité ethnique entretiennent moins de services publics que ceux qui se distinguent par une plus grande homogénéité ; Il montre également que dans les nations caractérisées par des antagonismes ethniques, la scolarité est deux fois moins longue; le taux d'équipement en téléphone par travailleur est treize fois moindre,les coupures d'électricités sont deux fois plus fréquentes ; enfin la proportion des routes goudronnées est de moitié plus faible. Ces constats témoignent de l'indigence du secteur public.

    Selon les travaux de Jacob Svensson professeur à l'université de Stockholm et Paulo Mauro qui travaille au FMI, la corruption est plus élevée quand règne une grande diversité ethnique. Pour ces deux auteurs, les pays qui disposent de matières premières sont davantage atteints par la corruption que les autres. Ces matières premières attisent la convoitise de chacun des groupes d'intérêts ethniques.

    Paradoxalement, Même si l'on voit surtout la violence dans les rivalités ethniques, au Congo, c'est plutôt l'aspect politique des rivalités ethniques qui posent problèmes.

    Ne soyons pas hypocrites ! En réalité, les leaders de l'opposition congolaise en particulier ceux du sud ne peuvent gagner une élection sur un programme ou un projet de société, mais sur le rapport de force démographique qui leur est favorable. Sassou Nguesso leader du nord du Congo ne peut gagner une élection que sur la base du rapport de force militaire et de ses soutiens 'Françafricains'.

    La démocratie congolaise est viciée par l'ethnie. Comment rendre cette démocratie 'ethniste' plus vertueuse ?

    Je crois que toutes les ethnies du Congo à travers leur leader doivent s'accorder sur la mise en place de service collectif performant. Car dans une société marquée par les antagonismes ethniques, même la construction d'une route, décision normalement de caractère anodin peut soulever des difficultés. Chaque groupe ethnique peut en effet ne désirer des routes que pour sa région, d'autant plus si les groupes ethniques n'entretiennent pas beaucoup de relations entre eux et ne placent donc pas une grande valeur dans une route interrégionale. Par conséquent, si tous les groupes accordent une valeur limitée à un réseau routier national, les leaders politiques n'en font pas une priorité et n'investissent pas autant que dans une société plus homogène sur le plan ethnique.

    Il est démontré que les groupes d'intérêts fondés sur l'appartenance ethnique sont moins disposés à soutenir la scolarisation de masse qu'il le serait dans une société plus homogène. Dans les pays morcelés d'un point de vue ethnique, on constate une insuffisance de service public qui se caractérise par des niveaux médiocres de mortalité infantile, d'espérance de vie, d'accès aux installations sanitaires et à l'eau potable. Cette analyse ressemble étrangement au Congo d'aujourd'hui.

    Voilà donc pourquoi, au lieu d'exiger du pouvoir de Brazzaville la mise en place d'une commission électorale indépendante pour lui permettre de gagner 'démocratiquement'- en réalité 'ethniquement' ou 'démographiquement'- les législatives de 2007, l'opposition congolaise devrait d'abord se battre pour des institutions saines et des services publics performants. Il est démontré qu'au cours des deux dernières décennies, les pays qui se sont dotés d'institutions de bonnes qualités, n'ont pas eu de guerre ou de violence ethnique et la croissance économique a été au rendez-vous. C'est le cas du Ghana.

    Que ferait l'opposition au pouvoir avec ces mêmes institutions et services publics ? A quoi sert-il d'exiger la commission électorale indépendante pour les élections alors qu'il n y'a pas de transparence dans la force publique (le haut commandement militaire est clanique), les hauts fonctionnaires sont nommés sur des bases ethniques et non du mérite, et pis, les médias et la justice sont bâillonnés !

    Pour installer des institutions saines et des services publics performants, une conférence nationale s'impose. C'est l'organisation d'une telle conférence qui devrait être la priorité de l'opposition plutôt que de 's'égosiller' à exiger une commission électorale indépendante qui ne leur sera pas concédé étant donné que le rapport de force national et international leur est défavorable.

    Le Congo a eu en 1992 une élection libre et transparente organisée sous la houlette d'une commission électorale indépendante. Malheureusement cette élection n'a pas permis l'amélioration des conditions de vie de la population. Ce n'est donc pas la commission électorale indépendante qui réglera les problèmes du Congo mais l'installation d'institutions et de services publics de qualité, la mise en place d'une fonction publique fonctionnant au mérite, l'installation d'un état de droit. A mon humble avis, c'est lorsque ces questions institutionnelles seront réglées que la demande d'une commission électorale indépendante sera vitale.

    Dommage que l'opposition se précipite de participer à une élection perdue d'avance alors que le principal enjeux du Congo n'est pas dans ces futures élections opaques mais dans la refondation d'un état décent et fort qui mobilisera les énergies de toutes les ethnies de la "nation" vers un développement réel et une résorption de la pauvreté.

     

    Kovalin Tchibinda

    Notes

    William Easterly : Les pays pauvres sont-ils condamner à le rester ? Editions d'Organisations

     
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    « Chirac, les arts premiers et les dictateurs africains.Ne nous voilons pas la face sur l'ethnie. »